I. EARL WHITELOCK
II. LES DESCRIPTIONS.
III. L'HISTOIRE.
♫ Miroir, mon beau miroir ♫
Le miroir est un objet représentant la vérité. Il reflète fidèlement tout ce qui se trouve devant lui. Malheureusement, et comme pour beaucoup de choses ici-bas, vous faites bien souvent votre propre interprétation de ce que vous y voyez, refusant de voir vos imperfections, ou, au contraire, y lisant des déformations que nul autre ne perçoit. Pour cette raison, le miroir est bien plus un reflet de vos désirs profonds que de la réalité de ce monde, même s’il révèle bien plus souvent ce que vous avez peur d’apprendre plutôt que ce que souhaitez voir.
C’est dans le conte de Blanche-Neige que les vérités du Miroir Magique ont provoqué le plus de troubles. A trop souvent s’admirer dans un miroir, il est facile de s’imaginer que vous êtes la seule, et donc la plus belle chose, à s’y refléter. Objets immobiles et inanimés, il ne peut pas vous détromper. Mais, doué de parole, le Miroir Magique s’est permis cette offense. La vanité des puissants est un fléau violent, et une jeune âme faillit perdre la vie pour commettre le crime d’avoir un reflet plus flatteur qu’une reine.
« Blanche-Neige est belle, si belle, bien plus belle que toi. »
« Blanche-Neige est en vie, et sa beauté aussi. »
A plusieurs reprises, le Miroir dénonça la princesse. Mais un tel objet n’a pas d’âme, il ne cherche à piéger personne. Il est là simplement pour refléter fidèlement la vérité, et en ce qui concerne les conséquences, seules sont à blâmer les personnes dont l’orgueil ne supporte contradiction.
Peut-être ne devriez-vous pas chercher à contredire ou corriger ce que vous dit un miroir. Si vous connaissez la fin de ce conte, vous savez pourquoi.
♫ Dis-moi qui est la plus belle ♫
Earl Whitelock naquit dans une famille de la petite noblesse, d’un père qui, comme beaucoup d’aristocrates, considérait le travail comme impur et vivait donc des rentes que lui rapportent ses terres.
Le jeune homme aurait pu vivre une enfance tout à fait enviable s’il n’en était pour sa mère. Margaret Whitelock était, avant même la naissance de son fils, une femme d’une faible constitution. Très belle, mais également très délicate, elle ne recevait que peu de compagnie. Mais son état se dégrada, et elle fut bientôt qualifiée par des médecins à l’air peiné de « faible d’esprit ». Faible ou perdu, l’esprit de la jeune mère n’était en tout cas pas comme celui du reste de la société, et son comportement, variant d'un extrême à l'autre, poussa son mari à la garder enfermée loin du regard de la société afin de ne pas être moqué pour les folies de sa femme.
Cet isolement forcé ne fit rien pour Margaret, dont l’esprit semblait s’égarer de plus en plus. La naissance d’Earl apparut comme une bénédiction, offrant un héritier à Sir Whitelock, qui craignait que sa femme ne finisse par succomber sans lui donner de descendants, ou pire, survive dans cet état et sans enfants, ne lui permettant pas de se remarier. Earl fut laissé à sa mère, dont le comportement s’apaisa beaucoup, et resta jusqu’au bout sa seule compagnie en dehors des domestiques.
Très attaché, et surtout très protecteur envers sa mère, le jeune homme était furieux par ce qu’il entendait dire au sujet de Margaret quand il arriva en âge de se présenter en société. Puisque ces gens se permettaient de juger sa mère, il décida qu’il se permettrait de juger ces gens. Tous les soirs, il racontait, avec sans doute beaucoup d'exagération, force détail et sans aucune merci, les horreurs, fautes de goût et d’esprit, qu’il voyait dans la haute société. Sa mère riait de son animosité.
« Et moi, tu ne me critiques pas ? »
« En cherchant à la ronde, dans tout le vaste monde, on ne trouve pas plus belle que toi, maman» chantonnait-il en réponse.
Et pour lui, elle l’était, la plus belle. Recluse, Margaret occupait ses journées par la couture, en créant de magnifiques vêtements pour elle et pour son fils. Aux yeux du garçon, ces vêtements étaient les plus beaux, et sa mère la plus douée pour les créer. Quand elle les portait, elle était plus belle qu'une reine. Il jouait au milieu des tas d’étoffes qui recouvraient le sol de la chambre, et bien vite, sa mère céda et se mit à lui enseigner cette occupation pourtant réservée au sexe faible. Son père resta très longtemps ignorant des activités de son fils, refusant le plus souvent d’interagir avec sa femme maintenant que celle-ci lui avait donné un enfant.
Earl grandissant, son père se mit à recevoir de plus en plus de compagnie afin que son fils soit introduit aux puissants et puissent entrer dans leurs bonnes grâces. Le jeune homme apprit bien vite à manier flatterie et hypocrisie, ses grands yeux bleus représentant un atout imparable quand il s’agissait d’amadouer les invités. Ses connaissances en toilette lui attirèrent très tôt la sympathie des femmes, qui s’amusaient des remarques du garçon et, parfois mais sans jamais l’admettre, en prenaient note.
Ces réceptions provoquèrent de nouvelles dégradations dans la santé mentale et physique de Margaret, qui se retrouvait de plus en plus isolée, pouvant de moins en moins obtenir la compagnie de son fils. Lorsque Sir Whitelock surprit la mère et le fils en train de broder le corsage d’une robe, il entra dans une colère noire, giflant sa femme et attrapant son fils par le bras pour le jeter hors de la pièce. Pour éloigner son fils de ces activités féminines dangereuses, il lui interdit de rendre visite à sa mère. Celle-ci mourut dans le mois, sans que la punition ne soit levée, peu avant les 14 ans de son fils.
Cela ne fit rien pour freiner le jeune homme qui, la passion grandie par la haine, n’eut que peu de difficultés à trouver des moyens de continuer ses activités en accompagnant les femmes de la haute société chez leurs couturiers afin de se lier d’amitié avec eux.
Concluant que l’étrange occupation de son fils venait d’un modèle féminin défectueux, Sir Whitelock décida de se remarier deux ans plus tard avec une jeune femme qu’il, la rumeur disait, fréquentait depuis bien avant la mort de son épouse.
Cette décision ne se releva en rien être sage. Earl, furieux de voir ainsi sa mère remplacée, se montra odieux avec la jeune femme, lui murmurant des insultes d’un ton doucereux à chaque fois qu’elle croisait son chemin, ce qu’elle décida bien vite de cesser de faire.
« Si le visage est le miroir de l’âme, alors vous avez une âme bien laide, ma Mère. »
Bien que tendue, la situation resta constante deux nouvelles années, au bout desquelles Earl se présenta avec un grand sourire au bureau de son père. Leurs interactions ayant toujours été réduites au minimum, celui-ci se trouva perplexe devant cette initiative, mais se prit quand même à espérer une bonne nouvelle. Une volonté de mariage peut-être ? Au grand plaisir de son père, le jeune homme avait acquis une réputation de séducteur qu'il trouvait rassurante. Des fiançailles seraient plus que bienvenues.
Ce ne fut pas le cas.
Earl annonça qu’il avait trouvé un poste d’apprenti. Pire, un poste d’apprenti chez un tailleur. Un noble ne travaille pas. C’était l’un des grands principes auquel tenait le père. Un homme ne fait pas couture. C’est également l’un de ces grands principes. Earl fut immédiatement renié.
♫ No one ugly allowed ♫
La carrière d’Earl fut fulgurante. Travailleur, possédant déjà de bonnes bases, imaginatif et surtout, motivé, son succès lui permis d’ouvrir sa propre petit boutique à 22 ans puis, un peu plus d’un an plus tard, de la déménager au Luxury Square, aux côtés des autres grandes enseignes de couture.
Si, en souvenir de sa mère et en guise de vengeance vis-à-vis de son père, il se spécialise aujourd’hui en toilettes féminines, il possède également une clientèle masculine respectable, et n’est pas moins doué dans ce domaine. A 28 ans, il est un tailleur et couturier, mais surtout un œil critique reconnu dans la capitale. Sa boutique est célèbre pour son snobisme et la discrimination qui y est effectuée. En effet, pour être habillé par Earl Whitelock, vous devez non seulement être riche, mais surtout être beau. Porter l’un de ses vêtements est à la fois une victoire et un compliment, et si cette pratique lui attire la rancœur de certains, elle n’égale pas la reconnaissance des âmes flattées qu’il accepte d’habiller. Ou de fréquenter d'une manière plus intime.
IV. DERRIÈRE L'ECRAN.